jeudi 25 février 2010

12 juin, arrivée à l'Isle-aux-Morts (journal demer, suite)



Semblant droit venue d’outre-tombe, la silhouette spectrale du Bel Espoir écharpe l’atmosphère laiteuse planant au-dessus des eaux, pour venir nous rejoindre. Nous avançons depuis quelques miles dans un paysage aux allures de bout du monde. Entre récifs et langues de terre où poussent quelques plants de mousse épars, les bateaux manœuvrent comme ils le peuvent, à une allure que pourrait aisément défier un randonneur.




Notre destination au nom prometteur, l’Isle-aux-Morts, a des abords qui méritent bien ce nom lugubre. Il semble qu’il n’y ait pas âme qui vive, hormis les fantômes qui doivent hanter les deux ou trois cimetières – au milieu de nulle part – devant lesquels nous passons. J’avais pris ces formes blanches pour des mouettes ou quelqu’autre créature volante maritime, il n’en est rien, dans les jumelles, je vois qu’il s’agit de pierres tombales blanches, que seul le vent doit venir visiter de temps à autre.




Peu à peu, nous enfonçant dans un interminable goulot de pierres, nous parvenons à une anse un peu plus ouverte, et nous apercevons quelques toits de tôle au loin. L’Isle-aux-Morts… Qui compte pas moins de 1300 naufrages répertoriés depuis que le village s’est établi il y a un peu plus d’un siècle de cela, si j’en crois les quelques plaques touristiques qui parsèment un minuscule sentier de randonnée. L’Isle-aux-Morts ? Quelques bâtisses en tôle et en bois, posées sur une immense lande désertique. Deux ou trois variétés d’arbustes épineux, mousses et lichens sont les seules espèces végétales que je rencontre. Il règne ici un parfum de Cornouailles, de grossièreté et de désolation. La pluie, qui semble omniprésente, adoucit à peine les escarpements rocheux qui descendent en cascade jusque dans les eaux grises bordant cette péninsule. La solitude règne en maître sur ces terres isolées.




J’apprends plus tard que la seule voie d’accès à ce patelin est la voie maritime. A cause de la rudesse du climat et des paysages abrupts, aucune route n’a été tracée pour rejoindre ce bourg aux autres communes de la gigantesque Terre-Neuve, ni aucune piste d’atterrissage. L’Isle-aux-Morts paraît vraiment livrée à ses habitants et à ses morts ; ces derniers certainement beaucoup plus nombreux que les vivants.
Malgré cela, je m’y sens étrangement apaisé, comme si l’étouffante et glaçante (on est en juin, mais le froid est toujours là !) humidité amortissait mes sentiments, mes peurs et mes doutes.


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